Ce que je voudrais tout d’abord stigmatiser
c’est l’arrogance de ce pouvoir politique.
-
La première manifestation de cette arrogance se traduit par
l’arrestation collective en avril 2021 des 10 réfugiés concernés par cette
procédure d’extradition.
Arrestation stupéfiante 40 ans après les
faits, 30 ans après l’asile octroyé au nom de ce qui a été qualifié dans les
années 80, par simplification de langage « Doctrine Mitterrand » mais qui
est devenu, au fil des décennies, tout simplement la politique internationale
de la France.
Rien d’étonnant dans les années 80 à la naissance de cette « Doctrine »
puisque je rappelle que le refus d’extradition en matière politique était
expressément prévu dans le programme de François Mitterrand et que, de surcroît,
les conventions internationales applicables à ce type de faits, prévoient
également une phase politique aux termes de laquelle, en cas d’accord à
l’extradition donné par les autorités judiciaires, le pouvoir exécutif décide
in fine d’extrader au pas. Il s’agît donc d’un principe et d’une pratique
prévue y compris par les textes internationaux.
Escroquerie intellectuelle au plus haut sommet de l’Etat à prétendre,
pour justifier ce scandale, qu’on appliquerait cette Doctrine en arrêtant des
personnes que la France a au contraire asilées pendant quatre décennies
et dont toutes les autorités notamment préfectorales connaissaient parfaitement
les dossiers.
En réalité aucun tri et aucun critère,
soi-disant de gravité, on a interpellé les dix derniers, et c’est tout.
- La deuxième manifestation de cette arrogance, c’est
l’instrumentalisation par ce même pouvoir politique d’un pourvoi en
cassation contre les décisions rendues par la Cour d’Appel de Paris.
Tout d’abord, je voudrais préciser que durant 30 années de pratique de
l’extradition je n’ai jamais eu un seul pourvoi en cassation dirigé contre des
refus judiciaires d’extrader, qui pourtant ont été nombreux. Ce type de pourvoi
n’est d’ailleurs théoriquement prévu que dans l’hypothèse d’une erreur grossière
de droit, ce qui n’est évidemment pas le cas aujourd’hui.
Pourvoi annoncé, c’est le comble, dans les minutes qui ont suivi la décision,
c’est-à-dire sans en connaitre aucunement les motivations et de surcroit par le
Président de la République lui-même au sommet de l’OTAN.
Belle image du respect de
l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs !
- Cette arrogance
politique se manifeste encore par l’intervention, prévue par aucun texte et
donc en dehors de toute légalité, dans le cadre de la procédure de Cassation,
d’un avocat représentant l’État Italien, lequel État n’est pourtant absolument
pas partie à la procédure !!!
Mais malgré cette arrogance
massive du politique et les armes utilisées, contrairement au monologue de
Javère dans les Misérables, tout n’a pas été possible et la justice a fait
acte d’indépendance et de résistance.
C’est ainsi que le Droit
devient ici une forme de résistance face aux petits arrangements entre États. La
Cour d’Appel de Paris en effet a dit non et elle a fondé ses 10 refus
d’extradition sur deux principes fondamentaux posés notamment par la
Convention Européenne de Sauvegarde des Droits Humains.
Tout d’abord sur l’article
8.
Cet article protège un droit fondamental, à savoir, le droit de chacun à sa
vie privée et familiale. Dans l’histoire qui nous réunit aujourd’hui, il
s’agît d’une vie privée et familiale construite publiquement pendant une
quarantaine d’années dans notre pays grâce à l’asile octroyé par la France.
La Cour a estimé que compte tenu du délai séparant les faits, dont elle n’a pas
méconnu la gravité, et la date des interpellations d’avril 2021, la durée de
cette vie privée et familiale et son ancrage dans la société française devait
primer sur une peine dont la finalité ne pouvait plus, et en aucun cas,
correspondre à une quelconque protection de l’ordre publique. Ainsi, dans cette
hypothèse, l’atteinte portée à la vie privée et familiale par une éventuelle
extradition était totalement disproportionnée.
En reconnaissant aujourd’hui la valeur de la vie privée et familiale de ces
réfugiés, la Cour a juridiquement consacré par application des principes
supérieurs que l’on vient d’évoquer l’asile que la France leur a octroyé
il y a 40 ans.
Ensuite sur l’article 6 qui consacre le droit au procès équitable et en
définit les critères.
Pour ceux de ces réfugiés qui
ont été jugés en leur absence, le procès équitable repose notamment, dans ces
procédures, sur deux exigences qui, aux yeux de la Cour d’Appel, ne sont pas
remplies.
Tout d’abord avoir
systématiquement droit dans une procédure criminelle à un nouveau procès lorsque
l’on est accusé contumace et ce, quelque soit le motif de l’absence.
Or l’Italie, malgré une évolution législative de sa procédure de contumace,
dictée par plusieurs condamnations de la Cour Européenne des Droits de l’Homme,
continue de subordonner, comme la Cour d’Appel l’a détaillé dans ses décisions,
la possibilité d’un nouveau procès à une série de conditions qui excluent tout
éventuel nouveau jugement pour les réfugiés italiens.
Quelles que soient ses
modifications, cette législation italienne reste donc, pour la Cour,
insuffisamment protectrice et ne respecte pas les critères du procès équitable.
Ensuite, toujours au regard des exigences du
procès équitable, la Cour a estimé que même en cas de nouveau procès, le délai
qui séparerait les faits de l’éventuelle tenue (d’ailleurs impossible) de cet
hypothétique nouveau procès, le priverait de tout caractère équitable
(dépérissement des preuves, mort des témoins, mort des co-accusés, etc.)
Pour conclure, et comme je suis aujourd’hui
raisonnablement optimiste sur l’issue définitive de cette scandaleuse et
tragique affaire, on peut espérer que, paradoxalement grâce à l’acharnement de
ce pouvoir politique, c’est finalement la plus haute juridiction française,
à savoir la Cour de Cassation, qui entérinera définitivement l’asile des
réfugiés italiens en rejetant les pourvois qui lui sont déférés.
Si jamais tel n’était pas le cas, alors, la
bataille que nous continuerons de mener avec vous tous, et que nous gagnerons,
serait d’emblée renforcée, par les 10 arrêts rendus par la Cour d’Appel de
Paris.
Irène Terrel